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Christian RUHAUT

« Autrefois, les couleurs étaient symboliques et, dans l’image, elles constituaient une sorte de langue parallèle à laquelle il fallait être initié ; aujourd’hui, les couleurs sont une qualité de la matière et se confondent avec elle. Ainsi, mais d’une tout autre façon, elles sont redevenues la langue  du tableau et, souvent, sa langue unique quand elles s’y représentent elles-mêmes sous la forme de taches, de traînées, de traces gestuelles, sans revêtir aucune figure.
Christian Ruhaut a inventé de rendre les couleurs figuratives  en les faisant participer à l’impression d’un paysage, et les voilà terreuses, neigeuses, aquatiques, rocheuses, célestes, nuageuses ou fleurissantes, mais toujours afin d’entraîner le regard à s’ouvrir et à contempler. »

Bernard NOËL

Edité à l'occasion de la rétrospective à l'Abbaye de La Couronne

Bibliographie sélective

Paysage improbables

« Aux yeux éblouis de Christian Ruhaut, la peinture est tout ensemble source et passage. Origine infinie et traversée silencieuse. Le « qui suis-je ? », qui nous meut et nous émeut tous, n’est plus ici une simple question, fût-elle abyssale, mais un état, ou mieux, un acte. Ne sommes-nous pas avant tout, dès que nous retournons profondément notre regard vers l’intérieur, des hommes-questions traversés, sans fin et sans relâche traversés, lumineusement ou douloureusement traversés ?

Qui suis-je ? Je ne suis autre qu’un « qui suis-je ? », une identité infinie, foisonnante, poreuse. Un infiniment ouvert à l’intérieur de la peinture. Un trou noir ou blanc – ou multicolore, dans la peau du monde. Qui suis-je ? Jamais une réponse toute faite, mais une question perpétuelle. Qui suis-je ? Le contraire d’une ligne horizontale, quelque chose comme une spirale incandescente. Une pulsation particulière.

Et dès lors qu’on s’accorde à cette spirale, rien n’existe isolément. Tout vibre, palpite, éclôt sous le signe fluide – ou parfois fracassant – de l’interdépendance. Écoutons Shi Tao, dans ces fameux Propos sur la peinture du moine Citrouille-amère : « Si loin que vous alliez, si haut que vous montiez, il vous faut commencer par un simple pas. Aussi, l’Unique Trait de Pinceau embrasse-t-il tout, jusqu’au lointain le plus inaccessible. »

Proche ? Lointain ? Quelque chose de tout autre, qui s’offre autant qu’il se dérobe. Quand il touche au plus juste, au plus traversé, Christian Ruhaut peint avec une autre main, la troisième, qui est toujours plus que la somme des deux premières, et qui évoque celle que Rûmi appelait la « main cachée », main de l’esprit ou du cœur, mieux, du cœur-esprit : « La main est saisie par une main cachée : c’est celle-ci qui, de l’intérieur, utilise le corps extérieur. »

Dans un passage éclairant de La Flamme de l’attention, Krishnamurti approche la beauté comme « un des délices de la vérité ». Au cœur de l’instant de beauté, qui balaie tout, l’ego est comme pulvérisé. Plus radicalement, la beauté advient lorsque le moi disparaît : « Il n’y a de beauté que lorsque le moi n’est pas », ou « l’essence de la beauté, c’est l’absence du moi », ou encore « de l’abandon du moi naît la passion de la beauté ».

Mise à nu créatrice, extraordinairement aiguë, à la fois légère et tranchante, où le moi laisse place à l’émoi. Éclat du simple être-là, rencontre vraie, par-delà les mots et les concepts. Inépuisement de la peinture, inépuisement du monde. »

Zéno BIANU